Fondation et histoire de l’abbaye de Chaumousey
L’abbaye de Chaumousey a pour origine une communauté d’ascètes solitaires disciples d’Anténor, installée à l’ermitage du Châtelet sur le Saint–Mont qui surplombe Saint–Étienne lès Remiremont. A la mort de ce dernier, ces hommes désignèrent Séhère, modèle de sagesse et de piété, pour les diriger. Ces qualités firent que l’évêque de Toul, Pibon, demanda également à Séhère de prendre la tête de l’abbaye de Saint–Léon de Toul, érigée en 1057, et d’y enseigner les règles de discipline de Saint–Augustin. Le nombre de plus en plus important des frères venant se joindre à ceux du Saint–Mont poussa Séhère à chercher un autre emplacement pour cette communauté.
C’est à cette période, vers 1091, qu’un noble, Thierry, poussé par sa femme Hadevide, donna aux religieux une partie de son alleu de Chaumousey afin qu’ils puissent s’y établir. Sans descendance, le couple donna ensuite la totalité de l’alleu avec ses serfs et ses revenus. Séhère désigna lui même l’emplacement de cet établissement dans un endroit propice à la méditation. Un premier oratoire et un autel furent consacrés durant l’hiver 1094–1095.
Après la mort des donateurs, Josselin, frère de Thierry, contesta la donation et fit subir aux religieux toutes sortes de difficultés et vexations allant jusqu’aux pillages et aux saccages. Séhère en appela au Duc de Lorraine puis à l’évêque de Toul et Josselin, après quelques années d’exactions, frappé d’excommunication, cessa de tourmenter les religieux. Séhère put ainsi se consacrer à régulariser la situation de sa maison de Chaumousey, alors simple filiale de l’abbaye de Saint–Léon de Toul, et qui fut érigée en abbaye en 1094, l’église du lieu lui étant donnée.
Gisla, abbesse de Remiremont, retira cette église, qu’elle jugeait relever de son autorité, au prêtre mis en place par Séhère et en nomma un autre à la place. Notre abbé en appela à nouveau à l’évêque de Toul afin de régler ce nouveau différent tandis que l’abbesse avait le soutien du Duc de Lorraine. Ce fut le pape en personne qui trancha en laissant l’église à Séhère moyennant une indemnité financière à Gisla de la part de nos religieux. Celle–ci refusa et, en 1107, l’abbé de Chaumousey et l’abbesse de Remiremont se retrouvèrent tous les deux devant le pape qui confirma la donation de l’église et accorda néanmoins à Gisla les dîmes du lieu.
Dès lors, Séhère pria l’évêque de Toul de confirmer à son monastère tous les autres biens reçus depuis la création de celui–ci afin de le mettre à l’abri des mêmes contestations que celles qui venaient de lui causer tant de soucis. Après la mort du créateur de l’abbaye, en 1128, celle–ci s’enrichit de nombreuses autres donations.
En 1586, l’abbaye, en pleine décadence comme tant d’autres à cette période, accueillit un nouvel occupant du nom de Pierre Fourier. L’abbé du moment, François Pâtissier, reçut ses voeux en 1587 puis lui fit recevoir les ordres et la prêtrise à Trêves en 1589. Pierre Fourier partit étudier à Pont–à–Mousson en 1591 puis fit son retour à l’abbaye en 1595 avant de devenir curé de Mattaincourt. Sous l’abbatiat de Pierre–François Pâtissier, neveu du précédent, eut lieu la réforme de l’abbaye de Chaumousey en 1653 qui fut unie à la congrégation de Notre–Sauveur créée par Pierre Fourier, mort treize ans plus tôt.
A partir de 1727, l’abbé et les seize moines du monastère dotèrent l’abbaye de bâtiments neufs et participèrent financièrement à la béatification du Bienheureux Père Fourier qui fut célébrée au monastère les 5,6 et 7 juillet 1731.
En 1789, alors que l’abbaye de Chaumousey exerçait son autorité sur douze cures et un prieuré, qu’elle possédait, en plus de son domaine abbatial, des biens, droits et revenus sur plus de cinquante communes, le décret du 2 novembre 1789 de l’Assemblée Nationale Constituante supprima les bénéfices ecclésiastiques. En 1790, le bétail et les instruments agricoles furent vendus, tout comme la cense de la Michotte. En 1792, les ornements religieux et l’horloge de l’église furent également vendus. En 1793, ce fut au tour des boiseries de la salle du réfectoire d’être vendues. En l’an III, le moulin de Bouzey fut vendu par adjudication ainsi que les fermes de la Folie–Gérard, celle de l’Aumônerie, celle de la Folie–Colette et la Tuilerie. En l’an IV, le domaine fut vendu pour servir de carrière à ciel ouvert. Les bâtiments furent démontés les uns à la suite des autres. Ainsi s’acheva 700 ans de l’histoire ecclésiastique de notre commune.
Entrée de la grande cour d’après négatif de Georges Durand d’Amiens avant 1914.
Entrée de la grande cour, photographiée en 2004 – Seul vestige visible.
Cave comblée sur quelques mètres à cause des infiltrations d’eau du réservoir de Bouzey, photographiée en 2012.
Nous vous proposons ci–dessous un extrait des Études publiées par des pères de la Compagnie de Jésus, 34e année, tome 72e, de juillet, août et septembre 1897, disponible sur le site de la bibliothèque nationale de France et qui donne un aperçu de l’état de l’abbaye quelques cent ans après la Révolution:
Chaumousey (Vosges), 24 juillet, 11h. matin
[...] L’abbaye de Chaumousey était située à 1500 mètres du village. Elle a fait place à un groupe de ruines et de constructions formant hameau.[...] Aux abords, la route s’élève en chaussée avec les viviers des chanoines en contre–bas de chaque côté. C’est la tête du célêbre réservoir de Bouzey, construit il y a peu d’années pour alimenter le canal de l’Est. Plus rien aujourd’hui que des fondrières, des terres ravinées, des blocs erratiques, des murs de soutènement éboulés, des ouvertures béantes et noires. Et plus loin, à 1500 mètres encore, en suivant du regard la large dépression du sol, se dresse la ligne de Bouzey avec sa formidable brèche de plus de cent mètres sur une longueur de cinq cents. Nous sommes en plein pays de la mémorable catastrophe.[...]
Revenons à l’abbaye.[...] Mais en quoi consistait le vaste établissement canonial? Impossible d’en juger complètement par les restes. Ils sont séparés et disséminés sur les deux côtés d’une sorte de cour rectangulaire. Ces constructions diverses d’époque, inégales, rougeâtres et lépreuses, donnent l’idée unique de l’abomination de la désolation. Depuis plus de cent ans, l’on a rien entretenu, rien réparé.[...] Un premier corps de logis se présente, haut, percé de larges fenêtres. C’est le principal témoin d’une splendeur à jamais détruite. L’administration des ponts et chaussées y a installé ses bureaux. Mais une seule pièce est intacte. Jolie en son genre. C’est la cuisine, carrée, avec un arbre de pierre au milieu supportant la retombée des voûtes. Une couronne de crochets de fer surmonte le chapiteau.[...]
La cuisine
On voit encore l’ancienne porte d’entrée, mais murée et bouchée, ainsi que les deux arcades latérales. Pilastres aux anneaux de pierres vermiculées, frontons aux mascarons jadis souriants, aujourd’hui mutilés, cannelures et rinceaux[...].
L’aumônerie était un des derniers bâtiments restés debout. Plutôt que de la réparer, ces messieurs des ponts et chaussées l’ont abattue; ils ne savent construire que des digues![...]
Un pan de muraille informe est l’unique vestige de l’église, avec un caveau ouvert d’où de pieuses mains ont naguère exhumé les ossements des chanoines. En place du cloître, des plates–bandes. Cependant, une maison bourgeoise a été construite, en 1851, sur les fondations qui auraient porté, d’après une tradition locale, la cellule de Pierre Fourier. Elle est occupé par un honorable ecclésiastique, arrière–petit–fils du troisième acquéreur de l’abbaye, un certain Ferry qui l’acheta en 1801 (an VIII). Ce digne prêtre cherche, avec sa famille, à réveiller le culte du saint sur ces ruines sans beauté et sans nom; ils m’ont fait voir le reposoir, construit de leurs mains, où se rendront lundi en procession les pélerins de Chaumousey.
Ils m’ont raconté aussi l’histoire des destructions successives. Le premier acheteur de l’abbaye, mise en vente comme bien national, fit main basse sur tout ce qu’il put rencontrer de métal, cuivre, plomb, fer. Puis il revendit. Le second s’attaqua au bois. Il arracha les charpentes des toitures et des plafonds. À son tour il se défit de l’édifice désormais condamné! Le troisième n’avait plus qu’à abattre les murs exposés à toutes les injures de l’air; il les transforma en carrière.
Pan de muraille de l’abbatiale caché sous le lierre